Les combats d'un ingénu de Michel Carcenac

Rédigé par Alain dans la rubrique Document et livre

English version 

This is the story of Michel Carcenac who in his mid-teens had dreamt and succeeded in joining a maquis group in the south of the Dordogne.

On the morning of the 6th June 1944 he heard the broadcast from Radio Londres that the Allies had landed on French soil. So, he left his family home in Bèlves and along with a friend joined the Maquis group ‘Soleil’. 

There are several extracts from his book published in 1997 that I would like to post over the next few weeks. It is well known that there was rivalry between the A.S. maquis and the F.T.P and this is mentioned many times in his memoires. This first extract explains why he joined an F.T.P. maquis groupe.

Version française

Cinquante ans plus tard, l’étiquette Soleil colle encore à la peau et je vois que la question posée à Malraux n’était pas saugrenue. Sous Mao ou sous Staline, Soleil et les terroristes qui l’entouraient auraient vite été liquidés après avoir fait leur travail. En France, on n’en est pas encore là, mais les reproches faits à Soleil rejaillissent parfois insidieusement sur ses anciens soldats. Beaucoup de collaborateurs reprennent de l’assurance pour décrier la Résistance.
Ceux qui ont combattu chez Soleil n’ont pas choisi leur unité ; ils ont rejoint un maquis sans savoir si celui-ci dépendait de l’A.S. ou des F.T.P., sigles dont la plupart ignoraient la signification ou même l’existence. Tout simplement, ils voulaient se battre et se sont trouvés sous les ordres d’un chef courageux qui les a rondement menés à la bagarre.

Siorac-en-Périgord, fin juin 1944 : Soleil harangue la foule, perché sur une traction.

De gauche à droite ; Maurice, Michel, Péron, Soleil et ....

Extrait du chapitre Les Alsaciens 

A peine les hommes sont-ils mobilisés le 2 septembre 1939, qu’arrivent les Alsaciens. Tous les gosses de Belvès sont à la gare. Pensez! De tels événements.
Dès l’arrivée du train, en fin d’après-midi, quel choc. J’ai l’impression de me trouver dans la gare d’un pays étranger. Les quelques Belvèsois présents sont noyés dans la vague déferlante de bonnes femmes dodues toutes blondes et de leur marmaille. 
Les hommes, je ne sais pas en voir. Les femmes s’agitent, courent d’un wagon à l’autre, descendent des paquets, des mioches d’un blond que l’on n’a jamais vu dans le pays, des grands-mères ahuries. Elles s’interpellent, crient dans une langue inconnue pour nous qui n’avons jamais entendu que le français et le patois. De ce bruyant brouhaha fusent deux syllabes que nous retenons : <<yau-yau>>, le surnom des Alsaciens est trouvé. Ces femmes n’ont pas besoin d’aide. Elles se débrouillent avec une étonnante vitalité après avoir passé trois jours et trois nuits dans un train aux banquettes de bois.
La mairie de Strasbourg a prévenu les habitants de leur départ obligatoire huit jours à l’avance par des annonces dans les journaux et des affiches placardées partout. Les hommes ont été requis en Alsace par l’armée française, même s’ils ne sont pas mobilisables.
La première partie de l’exode s’effectue en autobus jusqu’à Andlau, trente kilomètres au sud, à coté de Barr. Dans ce village, nos Alsaciens restent huit jours puis s’en vont par le train à Périgueux, où ils arrivent trois jours plus tard, pour apprendre qu’il n’y a plus de place et qu’on les expédie à Belvès.
Dans l’ancien garage Carcenac, aux Fontaines, les Belvèsois offrent un repas. D’abord une bonne soupe de légumes garnie de tranches de pain, cuite dans un chaudron habituellement réservé à la tambouille du cochon. C’est le seul récipient assez grand pour cent cinquante personnes.

Extrait du chapitre Les Lorrains 

En novembre 1940, parce qu’ils ont décidé de rester Français, la plupart des habitants de Knutange et Florange sont expulsés avec trente kilos de bagages. Une vingtaine de familles sont accueillies à Belvès. L’harmonie est parfaite entre les deux communautés. Les Chiesa font connaître aux Belvèsois les Tyroliennes qu’ils chantent en duo pour les fêtes locales. Quelques Lorraines ne rentreront pas en 1945, elles ont épousé un garçon du pays, comme Hélène Kessler qui s’est mariée avec Georges Blanchez.
Les Lorrains ont avec eux l’abbé Mangin, plein d’énergie et fort sympathique.

- Monsieur l’abbé, demande un jour ma mère, je ne comprends pas que vous soyez si désireux de voir la victoire des Russes, des communistes, vous un prêtre. 

- Madame, je serais avec le diable pour combattre Hitler, lui répondit ce curé de choc. 

Les Guervin ont été expulsés de Lorraine un peu plus tard. 


Extrait du chapitre Ma quête du maquis 

Le 6 juin, à l’aube, je déclare à mon frère et à mes sœurs :



-  Pas un mot aux parents. S’ils s’inquiètent, dites-leur que je suis parti au maquis. Ernest arrive à la maison à 6 heures. Petit déjeuner copieux et, à six heures trente, nous branchons la radio anglaise avant de partir. Stupéfaction, le communiqué en anglais annonçant le débarquement se répète comme une ritournelle, pour bien faire entrer cette vérité dans les têtes.

Je suis dans un état d’exaltation extrême à cette merveilleuse nouvelle, mais en même temps très amer. Ils auraient pu attendre un jour ou deux, que l’on soit dans le maquis. Ernest tout aussi vexé, fulmine contre Gérard qui nous a retardés. Nous félons immédiatement vers Saint-Cyprien avec seulement deux vélos, l’un de nous trois trottinant, à tour de rôle. A mi-chemin de Siorac nous rencontrons madame Peggary la meunière, qui pédale vers Belvès. Je la connais très bien.

- Alors Michel ? Où vas-tu comme ça ?

- Madame Peggary, j’ai une grande nouvelle, les Américains et les Anglais ont débarqué. Vous ne le savez pas encore ?? Nous allons rejoindre le maquis et nous sommes pressés. Je réquisitionne votre vélo.

- Toujours aussi blagueur ce Michel, tu ne changeras pas. Elle serait bien bonne celle-là, toi sur mon vélo et moi à pied. Puis, son air incrédule s’effaçant devant notre attitude sérieuse :
- C’est vrai ce que tu racontes, ils ont débarqué ?.
- Oui madame, nous venons de l’entendre à la radio anglaise. J’ai besoin de votre vélo pour aller me battre. Je vous le rendrai à la première occasion. Donnez-le moi, tout de suite, nous sommes pressés.
- Petit voyou. C’est impensable ce que tu fais là. Quand je verrai tes parents, nous en reparlerons. Dans ma famille nous avions toujours estimé les Carcenac.
Elle est repartie à pied à Siorac. Le lendemain, je lui fais remettre sa bicyclette. Ma vie de maquisard commençait par un geste symbolique : je réquisitionnais le bien d’autrui… mais seulement pour une noble cause.




Octobre 2014 : Le livre de Michel Carcenac vient d'être réédité complété par de nouveaux récits et enrichi de photos (lien)

Le site de Michel Carcenac (lien)

A lire également :

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  • Pourquoi ai-je été résistant plutôt que milicien ? Témoignage de Michel Carcenac (lien)