La brigade Rac à la fonderie de Ruelle 1944

Rédigé par Alain dans la rubrique Brigade Rac
Extrait du chapitre Tom crée une artillerie du livre La Brigade Rac par Capitaine Fred et imprimé en 1977.
A la veille de la bataille pour la prise d'Angoulême, fin août 1944, une forte colonne allemande avance sur le village de Torsac, avec autos blindées et canons de 20. Les nôtres, cantonnés dans le village, décident de tenir tête. Leur armement consiste en plusieurs fusils-mitrailleurs et une mitrailleuse italienne, comme armement « lourd ». Ils s'en servent si bien, avec une telle volonté et une si héroïque ardeur, que les Allemands, au bout d'un long combat, reculent.

Entrée principale de la fonderie
La mitrailleuse a eu raison d'un canon de 20. L'ennemi l'a abandonné. Il n'est pas utilisable mais c'est un canon... Première prise. Comme celui-là, d'autres ont été chèrement acquis. Mais il nous sont restés naturellement sabotés, épaves plus glorieuses qu'utiles. A défaut de canons, nous avions des trophées.
C'est alors que l'idée naquit dans le cerveau de Tom (Jean Nicard) de leur redonner leur première destination, de les remettre dans leur rôle de canons, ce qui n'enlevait rien de leur lustre, mais l'augmentait encore des services qu'ils allaient rendre. Rendre, littéralement, à leurs propriétaires d'origine. Question de direction. Il fallait les faire tirer coûte que coûte et si rétifs fussent-ils. La chose n'était pas facile, mais il y a un endroit où l'on connaît bien les canons et où l'on sait les faire parler, par expérience et vieille habitude. C'est la fonderie de Ruelle.  
Tom décide de prendre contact avec le directeur de la Fonderie de Ruelle par l'intermédiaire d'un de ses amis ingénieur de la marine dans cet établissement : Touzet (profile ci-dessous).
Il est mis en présence du colonel Renou à qui il expose son projet : récupérer le plus possible de matériel de guerre ennemi pour le remettre en état à la Fonderie. Il faut faire vite car les troupes qui vont se battre sur le Front atlantique ne disposent d'aucune artillerie.  
Le colonel Renou convoque dans son bureau deux de ses principaux ingénieurs : Charpentier et Sellier. La discussion est engagée. Tom défend son projet. Il veut à tout prix prendre là où ils se trouvent les canons allemands abandonnés ou sabotés et les faire remettre en état. Nous trouverons sur l'un une culasse, sur un autre, à Poitiers ou ailleurs, un tube, sur un autre, à Cognac, un percuteur, peut-être ailleurs un axe, etc. Mais nous arriverons coûte que coûte.  
Le directeur et les ingénieurs, devant tant de foi en l'avenir, réagissent favorablement. Ils donnent leur accord (qu'ils soient ici remerciés de leur prompte décision). Tom fut aussitôt introduit à l'intérieur de la fonderie qu'il visita de fond en comble. On lui présenta le personnel qui, désormais, travaillerait pour faire aboutir son projet. Plus de deux cents ouvriers se donnèrent ainsi jour et nuit sans relâche. Tom fut très vite à son aise et rassuré : il pouvait confier son bien : avec toute la maîtrise voulue on allait redonner de la voix à ses canons. Les ouvriers aussi avaient adopté le projet, et la fonderie toute entière était prête à donner sa technique et sa bonne volonté à une cause qui lui était chère.  
Les premiers matériels arrivent, et l'usine est en route. Tous veulent gagner. Il a fallu transformer les canons de 75 long. Ce sont des 75 de D. C. A. (Défense contre avion). Le tube est pratiquement à la verticale au moment du tir, alors qu'il va falloir le faire tirer presque à l'horizontale.    [283]   Pour pouvoir mettre l'obus dans la culasse Tom fait fabriquer des passerelles métalliques qui permettront au chargeur d'être au niveau de la culasse. Dix canons de 75 de ce type seront mis en état. Ils peuvent tirer à 12 km alors que le 75 court normal ne tire qu'à 7 km.  
Les fraiseuses bourdonnent, un petit marteau-pilon, comme un chien assoiffé en été, halète et l'arc électrique des soudeurs crée des ombres chinoises gigantesques sur la paroi du fond.  
Cependant, tout petit à côté d'une énorme locomotive dressée sur ses roues de derrières, menaçante et grotesque, un canon de 75 est l'objet de toutes les attentions. Il est vert, fraîchement peint : il ne se rappelle plus où il a été pris et il porte fièrement le nom de Tom près de la gueule. Justement, son séjour en clinique est fini. On lui a refait une culasse, il est prêt à sortir et à faire ses essais. Docilement, il se laisse conduire au champ de tir voisin et placer comme il convient.  
Il y a autour de lui une dizaine de personnes qui le couvent du regard, s'approchent, palpent, se reculent précipitamment à un petit bruit qu'il fait, parce qu'ils ne sont pas très sûrs de l'avoir entièrement adouci par toutes leurs prévenances. Indifférent, il se laisse photographier sous tous les angles, tête levée, puis jambes écartées. On le cloue au sol à coups de masse et on le photographie encore. Pendant que Tom, une dernière fois, lui caresse le col amoureusement, il consent à se laisser enfoncer un obus par derrière, puis, abandonné de sa cour qui s'est subitement écartée, par il ne sait quel caprice, à l'envoyer bien gentiment, avec un aboiement terrible dans la gueule noire d'une chambre de tir de 380 à quelque trois cents mètres en face de lui. Tout le monde, alors, revient à lui avec le sourire et des gestes aimables. On lui demande de recommencer et l'on se recule un peu moins, cette fois. Un armurier de la marine reste même tout près : sans protester, il s'exécute. Il s'est définitivement acquis toutes les sympathies. Trois fois, quatre fois on va encore le faire cracher et hurler, pour le plaisir... et lui, avec bonne grâce, se prête au jeu. On voit bien qu'il est d'un caractère facile et tout le monde est content.    
Pour la peine, on lui fera faire un petit voyage. On l'emmènera quelque part du côté de Royan et on le confiera aux artilleurs de Rac qui auront bien soin de lui, moyennant quoi, bien entendu, il leur assurera ses bons et loyaux services, aux côtés de la petite mitrailleuse italienne qui fait maintenant bon ménage avec le canon de 20 et des autres membres d'une famille qu'on espère voir bientôt très nombreuse.  
Le résultat définitif est satisfaisant.  

Dix canons de 75 long, un canon de 75 court, un canon de 105, deux canons de 25, un canon de 37, des canons de 20 et des mitrailleuses de 20 d'aviation montées sur affût et sur roues. Au total trente-deux pièces d'artillerie de tous calibres.  


Il fallait en même temps trouver les munitions nécessaires pour alimenter chaque sorte de matériel. Ce ne fut pas le plus facile. Tom repartit en campagne et à droite et à gauche, après avoir pu pénétrer dans des dépôts allemands sabotés au plastic, il put doter la Brigade de plus de 50 tonnes de munitions réparties en plusieurs dépôts dont la garde était confiée à un groupe commandé par le lieutenant Gendreau.  


C'est ainsi que les Allemands reçurent de leurs propres canons leurs propres munitions !   Trente-trois ans après, nous voudrions qu'à travers ce récit les cadres et le personnel de la fonderie de Ruelle trouvent ici l'expression de toute notre reconnaissance pour la conscience, le coeur et la foi qu'ils ont apportés à la réalisation de notre projet.





La famille de Jean Nicard "Tom" et Alain de la Tousche l'un des fils de René de la Tousche (Mission Alexander) ont eu la gentillesse de nous faire parvenir l'ensemble des photos de la fonderie de Ruelle en 1944. Les photos sont de André Léonard le photographe de la brigade Rac.






A gauche : Jean Nicard "Tom"





MARCEL TOUZET
Sacré Marcel, il avait toujours le mot pour rire et ses jeux ne se comptaient plus. Il nous a fait passer de bons moments, surtout lorsque le « boeuf gros sel » de la popote lui laissait le temps de la concentration. Il était né à Ruelle, au début du siècle, en 1904, je crois, au milieu des canons de la fonderie, et sa voie était ainsi toute tracée. A vingt-cinq ans il était ingénieur de l'Ecole technique supérieure de la marine (artillerie navale). Pas étonnant alors qu'on le retrouve à l'origine de la création du groupe d'artillerie de la Brigade Rac.
Il va naviguer pendant des années sur le croiseur cuirassé « Jules-Ferry », en Extrême-Orient, en Indochine, au Japon, en Corée dans les îles de la Sonde. En 1939 on le retrouve à Ruelle comme chef de la fabrication des douilles. Mais à l'arrivée des Allemands, peu enclin à les servir, il entre à la Production industrielle à La Rochelle, et là il pourra sauver du S.T.O. une quantité de gars. Un beau jour, cela ne va plus, et il faut prendre le large.
Il vient alors rejoindre ceux de la Brigade Rac à Torsac. Excellente recrue. Il est affecté à l'E.M. et travaillera avec Tom. Ils parcourent tous les deux les routes du Sud-Ouest pour récupérer canons et munitions.
Grâce à M. Sellier, de la fonderie de Ruelle, un ami de Touzet, tout devient possible. On crée ainsi une artillerie Rac, certes hétéroclite, mais efficace : canons de 75 DCA, de 105 et pièce nomade, sans compter toutes les armes automatiques allemandes ou tchèques prises à l'ennemi et transformées dans les ateliers de Ruelle. Un travail peut-être pas très spectaculaire mais combien payant, et c'est au grand étonnement de tous les maquisards de France et de Navarre que la brigade déploiera son artillerie devant Royen et l'île d'Oléron. Sauf les deux pièces de 75 du groupement Foch, aucune formation F.F.I. ne possédait de canons.
Les munitions furent prélevées, pour la plus grande partie, dans les carrières de Jonzac où Tom et Touzet ne furent pas rassurés, les caisses étant le plus souvent piégées. Après Oléron, Marcel Touzet devint directeur des chantiers navals de La Rochelle. Ingénieur principal, chevalier de la Légion d'honneur, il a pris sa retraite et réside toujours à La Rochelle où il représente les « Rac » : Un nom qui ne doit pas disparaître, dit-il. Bravo Marcel, tu étais l'un des nôtres et tu le resteras. 

  

(Profil tracé par Rac. )  


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